Le Huayna Potosi, 6.088m d’altitude, près de La Paz, en Bolivie, a la réputation d’être «un des 6.000m les plus faciles du monde »… Mais ça reste un “6.000m” tout de même!! A cette altitude là, on est dans un autre monde, et gare aux organismes qui ne s’adapteraient pas…

Bref, j’ai pas mal hésité avant de me lancer dans cette expédition tout de même. Je ne suis pas particulièrement sportive et déjà, marcher dans les rues en pente de La Paz (3.600m d’altitude pour le centre-ville) me donne le souffle court en trente secondes… Alors 6.000m? Mais j’ai eu envie de tenter le défi quand même! Une bonne occasion de tester ses limites.

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Me voilà en route vers le mont Huayna Potosi en cette belle matinée ensoleillée du 7 avril. Arrivée pour le déjeuner en 4×4 à 4.700m, au refuge où on doit passer la première nuit histoire de s’acclimater progressivement. Cela fait trois semaines que je voyage en Bolivie, entre 3000 et 4000m d’altitude, donc je suis déjà habituée… Mais 5000 c’est encore un autre palier… Je suis avec Tim, mon ami Belge avec qui je voyage depuis Tupiza (sud de la Bolivie), Nadia et Johan, un couple de Danois, Sofie, Suédoise, et Georg, Hollandais. L’après-midi, nous allons sur le glacier à quelque 4.900m pour nous exercer au maniement des crampons, piolets et de tout notre attirail. Une « excursion » à 6.000m ne s’improvise pas bien évidemment, et nous voilà sur le glacier, arnachés de pied en cap avec nos chaussures de ice-climbing (à mi-chemin entre des chaussures de rando et des chaussures de ski), sur-pantalons, anoraks, harnais et moufles… Encordés à deux avec un guide (oui, trois guides pour six personnes), on chemine entre les crevasses, s’exerce à la montée ou descente sur des pentes plutôt ardues. On termine par une session d’entraînement à l’escalade sur une paroi verticale. Armés d’un piolet dans chaque main… Pffff… Bon, je dois avouer, je ne me sens quand même pas super à mon aise… J’arrive péniblement jusqu’au sommet et enjambe les crevasses avec quelque appréhension. A quasi 5.000m d’altitude la raréfaction d’oxygène se fait carrément sentir et le moindre effort me laisse le souffle coupé…

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Retour au refuge en fin d’après-midi pour une bonne pause goûter et « coca tea ». Les feuilles de coca permettent de lutter contre le mal de l’altitude et nos guides nous conseillent ardemment d’en consommer. A presque 5.000m, je sens le mal de tête qui arrive (symptôme classique du mal de l’altitude). Quelques feuilles de coca et un bon comprimé d’ibuprofène et je file m’allonger attendre que ça passe…

Dîner léger, un bol de soupe et une assiette de pâtes. Quelques bonnes parties de carte et tout le monde file se coucher vers 22h. Je tourne et me retourne dans mon duvet. Impossible de trouver le sommeil. L’insomnie est un autre symptôme du mal de l’altitude et je n’arrive pas à fermer les yeux. J’ai l’impression de passer la nuit entière éveillée et énervée.

C’est l’heure de se lever. Ai-je dormi ou pas? Certainement un peu, mais en tout cas pas beaucoup. Un bon petit-dej, un « coca-tea », et nous voilà partis direction le camp d’altitude à 5.100m, où nous devons passer la deuxième nuit. 400m de dénivelé, ça peut paraître faible, mais à 5.000m d’altitude, c’est une autre dimension… Je n’ai jamais marché aussi lentement de ma vie… Un pas après l’autre… Lentement, très lentement… Et pourtant on a tous le souffle coupé. Je me félicite d’avoir choisi l’option avec portage du sac-à-dos. Au moins je n’ai pas à faire le trajet avec 15 kilos sur le dos. Ce n’est pas le cas de mes compagnons d’ascension, et je les vois peiner sous le poids de tout l’équipement qu’on doit se trimballer… Les affaires personnelles sont bien sûr réduites au minimum, mais chacun doit porter ses chaussures d’ice-climbing, crampons, piolet, harnais, anorak, pantalon doublé, gants, bonnets, sac de couchage et provisions d’eau pour deux jours…

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Après deux heures et demi épuisantes de grimpette dans la caillasse, on arrive enfin au refuge Alto Roca, 5.130 mètres!! La vue époustouflante et un soleil magnifique nous récompensent de tous nos efforts. Les nombreux messages laissés sur les murs de la salle commune par nos prédécesseurs nous donnent un avant-goût de ce qui nous attend… « Allez les copains, vous allez bien en chier à la choune… » « Huayna Potosi… Pouah, chienne de vie… Première et dernière… »… Pas super encourageant tout ça…

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Le refuge se remplit peu à peu avec d’autres groupes d’apprentis alpinistes. C’est l’heure du déjeuner, mais j’arrive à peine à avaler quoique ce soit. Encore ce fichu mal de l’altitude, me mettent en garde nos guides. A cette hauteur, le système digestif peut avoir du mal à fonctionner et j’avale à grand-peine un bol de soupe. Il faut quand même faire provision d’énergie pour demain: j’ai une montagne de 6.000 mètres à gravir…

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Je tente de faire une bonne sieste l’après-midi, mais toujours impossible de fermer l’oeil. Dîner du soir à 17heures. Oui oui, c’est bien le dîner et pas le goûter… Car la nuit va être bien courte pour tout le monde. On doit se lever à minuit pour un départ à une heure du matin. Très très matinal tout ça… L’objectif est d’arriver au sommet pour le lever du soleil et de faire la descente dans les premières heures du jour. Après, les rayons du soleil réchauffent la neige et ça devient trop dangereux pour marcher dessus. Risque d’avalanche!!

Deuxième mauvaise nuit… Pas évident de se lever à minuit… D’habitude, je ne suis pas encore couchée à cette heure-là… Dans le refuge, c’est le ballet silencieux des lampes frontales. Tout le monde enfile consciencieusement toutes ses couches de vêtements… Deux paires de chaussettes, collant, pantalon, sur-pantalon, maillot de corps à manche longue, deux laines polaires, anorak, harnais, moufles, bonnet… A cette heure-là, il fait -10°C dehors, et au sommet, ce sera pire, entre -15 et -20°C… Brrr…

Coca-tea et barre de céréale difficilement avalés et nous voilà en route à une heure du mat. Il fait nuit noire et on progresse à la seule lueur de nos lampes frontales. Bref passage dans la caillasse, puis il faut chausser les crampons et s’encorder. Les choses sérieuses commencent et nous voilà sur la neige glacée. La pente est plutôt ardue et on progresse lentement…. mais sûrement. En plus, c’est cool, je suis finalement toute seule avec mon guide, Hilario. Affectée également par le mal de l’altitude, Nadia se sentait trop mal au refuge et n’a pas pris le départ avec le groupe. Nous sommes donc cinq pour trois guides. Sans compter tous les autres groupes qui progressent également. Une bonne heure d’ascension s’est déjà écoulée. Bon, ce n’est pas la grande forme, et après avoir peu dormi et peu mangé ces deux derniers jours je sens que je n’ai pas beaucoup de réserves d’énergie, mais pour l’instant ça va, je tiens le rythme. Petit changement d’équipes. Mon pote Belge Tim qui était encordé avec Johan, notre compagnon Danois, se retrouve finalement avec moi. Très fatigué, Johan n’arrive plus à suivre le groupe et abandonne à son tour.

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Changement de cordée et c’est repartit. La pente se fait de plus en plus raide et l’air de plus en plus étouffant. On chemine sur un étroit « chemin » de neige, une pente vertigineuse à nos côtés; Difficile à dire en fait. Il fait complètement noir, et c’est impossible de savoir s’il y a dix ou cent mètres de vide à nos côtés… ou peut-être plus ? Mieux vaut peut-être ne rien voir du tout et se concentrer sur chaque pas. J’ai besoin de m’arrêter de plus en plus souvent pour reprendre mon souffle. J’aimerais bien qu’on puisse faire une pause pour manger une barre de chocolat et reprendre quelques forces, mais notre guide refuse qu’on s’arrête à cet endroit. Trop dangereux. Il faut continuer jusqu’à un endroit plat, où on pourra faire une pause en toute sécurité… Je commence à m’inquiéter à l’idée de ralentir Tim. Super motivé pour aller jusqu’au sommet et en bien meilleure forme physique que moi, il se retrouve malgré tout obligé de progresser à mon rythme d’escargot. Mais bon, c’est la loi de la montagne: c’est au plus fort de s’adapter au rythme du plus faible… Le contraire est impossible…

Soudain, un obstacle devant nous. Oh, c’est pas grand-chose, juste un morceau de pente beaucoup plus raide sur lequel il faut s’aider avec le piolet pour continuer à progresser. Et sur le côté, dans l’obscurité, une crevasse, en contre-bas… Bon, ce n’est pas la peine de regarder en bas… Concentrons-nous plutôt sur ce fichu raidillon de glace à gravir… Piolet à la main, je tente de le planter fermement pour avoir un bon appui. Mais impossible. Je n’ai absolument plus aucune force dans le bras. Je tente de progresser malgré tout mais me retrouve paralysée par l’angoisse. Je n’arrive plus à planter ce fichu piolet dans la glace. Mes crampons dérapent également et je me retrouve incapable de continuer l’ascension faute de pouvoir m’assurer des prises suffisamment solides dans la glace. Instant de panique et je me vois presque dégringoler dans cette crevasse… J’ai toute confiance en Hilario qui m’assure avec sa corde, mais si je n’ai plus la force de planter mon piolet dans la glace, est-ce bien raisonnable de continuer ? A bout de force, la mort dans l’âme, à 3heures du matin, et à 5.450m d’altitude, je me retrouve contrainte d’être raisonnable… Impossible de gravir cette pente trop raide pour moi. La seule solution est de faire demi-tour.

Heureusement, coup de chance pour Tim. A ce moment-là, un guide arrive, encordé juste avec une fille. Il peut donc prendre mon ami Belge avec lui. Mon abandon ne le privera pas de son rêve d’atteindre les 6.000 mètres…

Je redescend au refuge un peu déçue. Mais sans regrets. J’ai le sentiment d’avoir fait le maximum. Ma condition physique était certes un peu limite. Mais face au manque de sommeil et à mes difficultés à m’alimenter, je n’ai pas pu lutter. Trois jours bien éprouvants entre ciel et terre. La grande altitude est vraiment un univers à part. Le « 6.000 le plus facile du monde » est resté hors de ma portée. Parmi notre groupe de six, Sofie, la Suédoise, Georg, le Hollandais, et bien sûr mon complice Belge, Tim ont atteint le sommet. Bravo à eux trois!!

PS: et voilà la photo que j’ai ratée… C’est Tim au sommet du Huayna Potosi, 6.088 mètres d’altitude… Ah, qu’est-ce que j’aurais bien aimé être sur la photo… Encore bravo à lui!!

tim

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Voyager à La Paz à 4.000 m d'altitude

18 commentaires pour “Le mont Huayna Potosi ou l’impossible ascension à 6.000 mètres d’altitude”


    • Sarah

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      à propos de la route de la mort justement, deux jours avant que j’arrive à La Paz, il y a une jeune Israélienne qui s’est tuée en la faisant… ça a refroidit pas mal de gens pour tenter l’expérience…


  1. Quelle aventure! Bon sur toutes les photos tu as un grand sourire, tu caches bien ton mal de l’altitude… Dommage que tu n’aies pas atteint le sommet, mais explorer ses limites, c’est bien le but d’un tour du monde, non?… J’espère que tu profites un peu de notre bonne vieille France avant de repartir!
    bises


  2. Coucou Sarah,

    J’hésitais, j’hésitais … Mais après avoir lu ce post, eh bien, sache que tu viens de me balancer vers un 6000m boliviano-chilien. Si je gerbe toutes mes tripes à cause du mal d’altitude, je pourrai dire que c’est uniquement à cause de toi. C’est partiiiiiiiiiiiii !


    • Sarah

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      whaouhh!! alors bon courage!! tu vas en baver, mais j’espère de tout coeur que tu y arriveras!! tiens moi au courant!! fais la bise à huayna pour moi!! enjoy!!


  3. Robin

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    Bonjour,

    Pour info, est ce que tu avais booke l’expédition depuis la France ou directement sur place ?

    Quel est le coût d’une telle assension ? Juste pour savoir a quoi s’attendre.

    Merci pour ta réponse

    Robin.


    • Sarah

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      bonjour robin,
      j’ai organisé ça dans une agence de voyage à la paz. inutile de faire ça depuis la france. je ne me souviens plus très bien du prix, mais ça n’était pas cher… aux environs d’une centaine d’euros pour trois jours d’expédition. la bolivie est un des pays les moins chers d’amérique du sud.


  4. martin

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    Bonjour,

    merci pour toutes ces informations.

    Concernant tous les matériel, c’est evidemment fournie par l’agence. Mais tous ce qui est veste polaire, lampe torche, chaussure de rando, bref, tous le necessaire pour faire de la très haute montagne, on est censé amené tous sur place de nous même?
    Y a t’il moyen d’acheter tout cela sur place?

    merci

    Florian


    • Sarah

      Répondre

      pour les chaussures de rando et le matériel un peu technique comme laine polaire ou coupe-vent imperméable, je conseille quand même d’acheter ça en France et d’avoir du matériel de bonne qualité. On peut certainement en trouver en Bolivie, mais pas forcément de bonne qualité et beaucoup de contrefaçons. Pour le petit matériel comme lampe torche ou autre, on peut facilement trouver sur place.


  5. Salut Sarah,

    Le Huayna Potosi sera probablement sur mon itinéraire lors de mon périple en Amérique latine. Je n’ai aucune expérience dans le domaine mais au Pérou j’étais monté à 4900m sans trop de soucis… bon je n’ai fait que marcher tranquillement.

    Qu’en était-il de l’expérience dans le domaine de l’alpinisme des autres personnes de ton groupe?
    Jessy Articles récents..Mon voyage au Pérou en 33 photosMy Profile


  6. Guillaume H

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    Bravo pour cet article. Je viens juste de rentrer en France après un périple Péruvio-Bolivien d’un mois. Mon pote et moi avons tenté l’aventure du Huayna Potosi avec succès. Mais ce n’était pas une mince affaire. Très content de l’avoir fait.



  7. Charlotte

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    Si je peux me permettre pr les personnes qui lisent ce superbe article et belle expérience. J’ai pu tenter le Hyuana potosi ac mon copain aussi. Faites attention à l’agence que vous choisissez. Altitude 6000 l’illusion du Huanya Potosi. Agence qui semble professionnelle, mais des que les conditions météo se gatent (neige en continue), le professionnalisme laisse à désirer. La où les autres agences (High Camp) fournissent un matériel adéquat, les manteaux et gants fournis par l’agence ne sont pas du tout adaptés à de telles situations (l’ascension d’un glacier à 6088m). Nous avons du faire demi-tour (à grand regret) à 2h du sommet car nous étions totalement trempés par les équipements, et cela devenait dangereux de continuer ainsi. Et les prix sont plus élèves que d’autres agences. Donc un prix élevé ne veut rien dire… Demander a voir le matos avant et s’il est compatible avec un temps de neige. Mais sinon belle expérience, aller au bout de ses limites c’est à tenter ! On a une revanche à prendre 😉 bonne ascension à tous !


  8. Kévin

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    Se prendre l’avion, exploser son bilan carbone pour aller faire un “6000” et se rater sur une pente. Encore à cause du mal des montagnes c’est compréhensible, mais là c’est clairement un manque de préparation. Il y a tant à faire par chez nous si on aime vraiment la montagne… Pourquoi partir à l’autre bout du monde alors que cette “défaillance” démontre clairement que tu n’as pas encore découvert nos propres montagnes?


    • Sarah

      Répondre

      je n’ai pas du tout pris l’avion pour aller faire un 6000 comme tu dis… j’ai voyagé huit mois en Amérique du Sud et j’ai profité de passer en Bolivie pour tenter cette expérience. Ne pas avoir réussi à dormir les deux nuits précédentes passées à plus de 4000 et 5000 était clairement un effet du mal des montagnes et c’est pour cela que je n’avais plus de forces le troisième jour. Sinon je suis à moitié savoyarde, donc les Alpes je connais merci.


  9. Pinard

    Répondre

    Bonjour Sarah! Tout d’abord bravo! Ce que tu décris a partir de 5000 m’ c’est un copier coller .
    J’ai eu cette bonne idée pour fêter mes 60 ans.
    Pour la montée, j’ai porté mon sac a dos, j’étais mort a l’arrivée. Comme toi , manque de sommeil et d’appétit. Je me suis rendu au sommet le 5 juin 2019. Je comptais mes pas pour m’encourager ! Çe fut le plus dur défi au niveau physique. J’espère refaire d’autre sommet avant la fin de ma vie.



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